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Home  »  The Oxford Book of French Verse  »  138. ‘O folz des folz, et les folz mortelz hommes’

St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.

Marc-Antoine Gérard de Saintamant 1594–†1661

138. ‘O folz des folz, et les folz mortelz hommes’

OH! que j’aime la solitude!

Que ses lieux sacrés à la nuit,

Éloignés du monde et du bruit,

Plaisent à mon inquiétude!

Mon Dieu! que mes yeux sont contents

De voir ces bois qui se trouvèrent

A la nativité du temps,

Et que tous les siècles révèrent,

Être encore aussi beaux et verts

Qu’aux premiers jours de l’univers!

Un gai zéphyre les caresse

D’un mouvement douce et flatteur.

Rien que leur extrême hauteur

Ne fait remarquer leur vieillesse,

Jadis Pan et ses demi-dieux

Y vinrent chercher du refuge,

Quand Jupiter ouvrit les cieux

Pour nous envoyer le déluge,

Et se sauvent sur leurs rameaux,

A peine virent-ils les eaux.

Que, sur cette épine fleurie,

Dont le printemps est amoureux,

Philomèle au chant langoureux,

Entretient bien ma rêverie!

Que je prends de plaisir de voir

Ces monts pendant en précipices,

Qui pour les coups du désespoir

Sont aux malheureux si propices,

Quand la cruauté de leur sort

Les force à rechercher la mort.

Que je trouve doux le ravage

De ces fiers torrents vagabonds,

Qui se précipitent par bonds

Dans ce vallon vert et sauvage,

Puis glissant sous les arbrisseaux,

Ainsi que des serpents sur l’herbe,

Se changent en plaisants ruisseaux,

Où quelque Naïade superbe

Règne comme en son lit natal,

Dessus un trône de crystal!

Que j’aime ce marais paisible!

Il est tout bordé d’aliziers,

D’aulnes, de saules et d’oziers,

A qui le fer n’est point nuisible.

Les nymphes, y cherchant le frais,

S’y viennent fournir de quenouilles,

De pipeaux, de joncs et de glais;

Où l’on voit sauter les grenouilles,

Qui de frayeur s’y vont cacher

Sitôt qu’on veut s’en approcher.

Là, cent mille oiseaux aquatiques

Vivent sans craindre, en leur repos,

Le giboyeur fin et dispos,

Avec ses mortelles pratiques.

L’un, tout joyeux d’un si beau jour,

S’amuse à becqueter sa plume;

L’autre alentit le feu d’amour

Qui dans l’eau même se consume,

Et prennent tout innocemment

Leur plaisir en cet élément.

Jamais l’été ni la froidure

N’ont vu passer dessus cette eau

Nulle charrette ni bateau,

Depuis que l’un et l’autre dure;

Jamais voyageur altéré

N’y fit servir sa main de tasse;

Jamais chevreuil désespéré

N’y finit sa vie à la chasse;

Et jamais le traître hameçon

N’en fit sortir aucun poisson

Que j’aime à voir la décadence

De ces vieux châteaux ruinés,

Contre qui les ans mutinés

Ont déployé leur insolence!

Les sorciers y font leur sabbat;

Les démons follets s’y retirent,

Qui d’un malicieux éat

Trompent nos sens et nous martyrent;

Là se nichent en mille trous

Les couleuvres et les hiboux.

L’orfraie, avec ses cris funèbres,

Mortels augures des destins,

Fait rire et danser les lutins

Dans ces lieux remplis de ténèbres.

Sous un chevron de bois maudit

Y branle le squelette horrible

D’un pauvre amant qui se pendit

Pour une bergère insensible,

Qui d’un seul regard de pitié

Ne daigna voir son amitié …

Tantôt, sortant de ces ruines,

Je monte au haut de ce rocher,

Dont le sommet semble chercher

En quel lieu se font les bruines;

Puis je descends tout à loisir

Sous une falaise escarpée,

D’où je regarde avec plaisir

L’onde qui l’a presque sapée,

Jusqu’au siège de Palémon

Fait d’éponges et de limon.

Que c’est une chose agréable

D’être sur le bord de la mer,

Quand elle vient à se calmer

Après quelque orage effroyable,

Et que les chevelus Tritons,

Hauts, sur les vagues secouées,

Frappent les airs d’étranges tons

Avec leurs trompes enrouées,

Dont l’éclat rend respectueux

Les vents les plus impétueux!

Tantôt l’onde, brouillant l’arène,

Murmure et frémit de courroux,

Se roulant dessus les cailloux

Qu’elle apporte et qu’elle rentraîne.

Tantôt elle étale en ses bords,

Que l’ire de Neptune outrage,

Des gens noyés, des monstres morts,

Des vaisseaux brisés du naufrage,

Des diamants, de l’ambre gris

Et mille autres choses de prix.

Tantôt, la plus claire du monde,

Elle semble un miroir flottant,

Et nous représente l’instant

Encore d’autres cieux sous l’onde.

Le soleil s’y fait si bien voir,

Y contemplant son beau visage,

Qu’on est quelque temps à savoir

Si c’est lui-même, ou son image,

Et d’abord il semble à nos yeux

Qu’il s’est laissé tomber des cieux.

Bernières, pour qui je me vante

De ne rien faire que de beau,

Reçois ce fantasque tableau

Fait d’une peinture vivante.

Je ne cherche que les déserts,

Où, rêvant tout seul, je m’amuse

A des discours assez diserts

De mon génie avec la muse;

Mais mon plus aimable entretien

C’est le ressouvenir du tien.

Tu vois dans cette poésie

Pleine de licence et d’ardeur

Les beaux rayons de la splendeur

Qui m’éclaire la fantaisie:

Tantôt chagrin, tantôt joyeux,

Selon que la fureur m’enflamme

Et que l’objet s’offre à mes yeux,

Les propos me naissent en l’âme,

Sans contraindre la liberté.

Du démon qui m’a transporté.

Oh! que j’aime la solitude!

C’est l’élément des bons esprits,

C’est par elle que j’ai compris,

L’art d’Apollon sans nulle étude;

Je l’aime pour l’amour de toi,

Connaissant que ton humeur l’aime;

Mais, quand je pense bien à moi,

Je la hais pour la raison même;

Car elle pourrait me ravir

L’heur de te voir et te servir.